Jean-Jacques, votre nouvel album « Soul Conversation » est sorti sur le label Dixiefrog. Pourquoi avoir choisi, spécifiquement, ce label ?
Nous étions, jusqu'à présent, chez Universal qui nous proposait une sortie de l'album en 2009. Cela retardait considérablement nos projets et ce concept sur lequel je travaille depuis 2006. Je ne voulais pas faire attendre plus longtemps mes camarades musiciens. Plus particulièrement les chanteurs.
D'ailleurs, depuis que nous avons pris la décision de sortir le disque chez Dixiefrog, cela nous a permis d'enchaîner un certain nombre de choses.
Le plus important pour nous était de trouver quelqu'un qui, humainement, soit aussi fiable que Daniel Richard chez Universal. Avec Philippe Langlois nous n'avons pas été déçus...
Est-ce que le fait de passer d'une grande major à un label indépendant a modifié la donne au niveau de la conception du disque ou s'agissait-il d'un produit « livré » qui aurait été le même chez Universal ?
C'est difficile à dire...
J'ai la chance, depuis un certain nombre d'années, d'avoir le choix dans mes productions. Je suis toujours allé voir un producteur avec un projet ficelé en disant ce que je voulais faire...
La réalisation, conjointement avec Sebastian Danchin, s'est faite dans l'esprit que nous nous étions fixé au départ.
Le line-up du groupe a évolué sur ce disque avec, notamment, la présence de deux chanteurs américains : Michael Robinson et Ron Smyth. Pouvez-vous me les présenter et me dire de quelle manière vous les avez rencontrés ?
Mes albums, depuis une dizaine d'années, ont été assez évolutifs avec l'inclusion sur chacun d'entre eux d'invités chanteurs. J'ai une grande affection pour le chant et, n'étant pas chanteur moi-même, j'ai été séduit par cet aspect du Blues qui représente un dialogue entre l'harmonica et le chant.C'est donc un petit retour aux sources pour moi...
J'ai rencontré Michael par l'intermédiaire d'un remarquable ingénieur du son, avec lequel je travaille depuis des années, qui s'appelle Franck Seguin. Ce dernier était en Studio avec Angélique Kidjo pour un disque auquel participait Michael. Lorsque je lui a parlé de mon projet, il m'a suggéré ce chanteur qu'il m'a permis de rencontrer. Nous avons rapidement sympathisé mais nos emplois du temps ne nous permettaient pas d'envisager une collaboration dans l'immédiat.
Par la suite, j'ai travaillé avec Demi Evans pendant 3 ans. J'ai eu l'occasion de faire une émission de radio avec elle et durant cette dernière j'ai, à nouveau, rencontré Michael. Je lui ai renouvelé ma proposition en lui précisant que j'aimerais travailler avec plusieurs chanteurs.
Il m'a, de ce fait, présenté son ami Ron Smyth qui est, en quelque sorte, son complément vocal. Autant Michael a une voix céleste, autant Ron a une voix « down home » à la limite du reggae. La juxtaposition des deux est assez magique...
Y avait-il, musicalement parlant, une ligne directrice définie à l'avance pour cet album, comme cela avait pu être le cas avec « Memphis » pour la Soul Music et « Blue 3rd » pour le Jazz new-yorkais ?
Quand je travaille sur un projet tel que celui-ci, j'essaye de le faire tourner autour d'un concept qui soit le plus large possible mais qui me permette aussi de l'ancrer dans un domaine spécifique.
Sur « Soul Conversation » c'est, d'une part, un travail des voix et, d'autre part, une mise en avant de la Soul par rapport au Blues. On pourrait définir cette musique, un peu indéfinissable, comme de la « Country-Soul »...
Le but était d'aller vers les voix et les chansons plus que vers la pêche et le côté très rythmique et cuivré de la Soul telle que nous la connaissons.
C'était l'idée de l'album...
Au niveau des textes, quels sont les thèmes principaux qui se dégagent de ce disque ?
Si je suis le plus ancien du groupe, nous avons tous des repères communs. Nous avons commencé à nous intéresser à la musique au moment de la conquête des droits civiques aux Etats-Unis. De ce fait, la plupart des morceaux plongent leurs racines aussi loin que cela.
Nous avons tendance à voir la musique plus comme une continuité que comme une succession de modes et de styles. Je trouve intéressant le fait de tirer sur un petit « fil rouge » tel que celui-ci et d'essayer de le faire évoluer. Cela passe par la reprise de standards qui tournent autour du sujet mais aussi par la composition de nouveaux morceaux qui, sans être « revivalistes », s'inspirent de cette lignée musicale.
Puisque vous parliez de droits civiques, j'en profite pour rebondir. En effet la chanteuse Odetta vient de nous quitter (le 02/12/2008). Est-ce une personnalité qui représentait beaucoup pour vous ?
C'est une des chanteuses qui, à l'époque, a été la liaison entre le Folk et la musique noire. Ses prestations, comme à Newport par exemple, ont fait beaucoup pour faire évoluer la bonne cause. Elle a été un « booster » de la musique au début des années 1960...
Pour les habitués d'Internet il faut se souvenir, qu'à l'époque, les idées circulaient beaucoup par la musique. Cela a été un vecteur contre-culturel important qui explique aussi l'importance de gens tels que Bob Dylan. Le discours véhiculé était inhabituel et avait cette possibilité de résonance mondiale. Aujourd'hui nous retrouvons cela à travers le Net mais à l'époque ça n'existait qu'à travers la musique.
Pour en revenir à l'album, nous y retrouvons 4 reprises. Comment ces morceaux ont-ils été choisis ?
Nous avons commencé à travailler, tous ensemble, en faisant des reprises. J'avais proposé à Michael et Ron un répertoire qui leur était assez inhabituel car ils s’étaient toujours produits dans un registre Soul beaucoup plus cuivré. Je leur ai ramené des chansons qui étaient plus des ballades comme « Long Time Gone » de David Crosby...
Ces morceaux sont issus de ma génération et ne sont pas spécifiquement des titres « blacks ». Nous avons travaillé autour de ce répertoire constitué de reprises, jusqu'au moment où nous avons commencé à composer des chansons ensemble.
A la fin, nous avons décidé de garder des titres qui nous semblaient emblématiques comme « Down in Mississippi » de JB Lenoir. Celui-ci a la particularité d'avoir été l'un des premiers bluesmen qui disait clairement ce qu'il avait sur le coeur. « People get Ready » de Curtis Mayfield était incontournable alors que « Long Time Gone » est un symbole de la fin des années 1960...
La reprise des Stones a une autre histoire. Nous étions dans une loge quand une équipe de tournage nous a demandé de faire un morceau. Comme nous parlions justement des Rolling Stones, nous avons demandé à Ron s'il connaissait « You Can't Always Get What You Want » et s'il pouvait nous le réciter plutôt que le chanter. Il nous l'a joué « Actor's Studio » et nous avons décidé de garder cette version qui est extrêmement forte avec sa voix...
En éternel voyageur, vous avez peut-être déjà eu l'occasion d'interpréter quelques-uns de ces morceaux lors de votre récente tournée en Amérique Centrale. Si oui, quelle a été la réaction du public ?
Nous avons fait une tournée, du Panama au Guatemala, en version purement instrumentale. Il n'y avait, en plus de moi, que Manu Galvin à la guitare et Jean-Michel Charbonel à la contrebasse. Nous étions parfois invités par des alliances françaises et il fallait, de ce fait, s'exprimer dans la langue de Molière.
Nous sommes habitués à cela lorsque nous sommes à l'étranger car les gens nous identifient toujours comme des français et nous sommes, quelque part, chargés de représenter ce pays. Je ne pense pas que nous en soyons les plus mauvais représentants et notre répertoire y est plus éclectique et moins chanté en anglais. Il est extraordinaire que les réactions tout autour du monde, y compris dans des pays aussi fermés que la Chine, soient assez identiques. Souvent les gens réagissent au même moment et sont touchés par les mêmes choses...
Peu avant « Soul Conversation » est sorti le disque d'un autre harmoniciste français que vous connaissez très bien. Il s'agit de l'abum « Road Movie(s) » de Greg Zlap. La carrière de ce dernier connaît une belle ascension actuellement. Quel regard portez-vous sur son parcours ?
Il le mérite !
Cela fait un moment qu'il aurait du connaître cette ascension. Le fait d'avoir joué avec Johnny Hallyday lui a, probablement, donné un petit « booster » comme cela a été le cas pour moi, dans la fin des années 1970, lorsque j'ai accompagné Eddy Mitchell. C'est quelqu'un pour qui j'ai, non seulement, de l'admiration mais aussi de l'affection. Nous nous connaissons depuis très longtemps...
Il était venu vers moi comme élève mais il faut avouer qu'il a, très largement, dépassé le maître...
Je lui avais confié des stages que j'animais car j'estimais qu'il avait toutes les compétences, le didactisme et la patience nécessaires pour ce genre d'activité. Du coup il a ouvert une école d'harmonica à Paris qui marche très bien !
C'est un garçon d'une grande fiabilité et j'ai une totale confiance en lui. Si j'ai besoin de lui je sais qu'il sera là et je crois qu'il sait que cela est réciproque. Je suis allé le voir au Café de la Danse pour le lancement de son album. Je suis d'autant plus touché que son batteur est mon fils (Toma Milteau, Nda).
De ce fait, j'ai une relation assez filiale avec son entreprise puisque j'y retrouve, à la fois, mon fils naturel et mon fils spirituel qui jouent ensemble, c'est très touchant pour moi...
Je lui souhaite le meilleur...
Pensez-vous, un jour, travailler avec lui et éventuellement enregistrer un album ?
Pourquoi pas...
Actuellement l'harmonica me sert plus comme un crayon pour dessiner des plans que comme un instrument définitif...
J'ai un tel attachement pour les voix que je vais, avant tout, essayer de continuer à travailler autour de cette idée de dialogues avec des voix.
Vous aviez, avec Sebastian Danchin, contribué à faire connaître la chanteuse Demi Evans. Avez-vous des nouvelles de cette artiste voire des projets communs ?
Absolument !
Elle travaille actuellement sur un nouvel album personnel en compagnie du guitariste Jean-Michel Kajdan et de son époux Fred Morisset qui lui compose les chansons.
Comme pour Greg je lui souhaite tout le bonheur possible et j'attends avec impatience le résultat de leur travail.
Que vous apporte le fait d'être devenu DJ via votre émission « Bon Temps Rouler » sur TSF, cela a-t-il été un apport important dans votre carrière ?
Il y a beaucoup de choses qui me sont arrivées et auxquelles je ne m'attendais pas. Le fait d'animer une émission de radio a été accidentel puisqu'à chaque fois que je rencontrais les gens de TSF je leur demandais quand est-ce qu'ils allaient se décider à faire quelque chose sur le Blues. Je les ai tellement gonflés qu'à la fin ils m'ont dit « ben tu n'as qu'à le faire toi-même » (rires) !
J'ai essayé, ils m'ont dit OK et cela fait maintenant un peu plus de 7 ans que cette émission dure. Cela m'a énormément apporté car ça m'a permis de ré-écouter des choses que je n'avais pas entendues depuis longtemps et à en découvrir d'autres. Je me suis rendu compte que la richesse de la musique qui va des années 1930 jusqu'à la fin des années 1970 est vraiment impressionnante.
Cela ramène à ce que j'ai dit plus haut : à l'époque, la musique était un vrai vecteur social. La musique n'existe vraiment que lorsqu'elle a une raison sociale et, éventuellement, politique d'exister.
Votre nouvel album vient à peine de sortir mais avez-vous déjà de nouveaux projets ?
Nous allons terminer l'année 2008 avec une soirée TSF à l'Olympia le 22 décembre. J'ai également quelques petites choses à écrire et d'autres à mettre en route en janvier et février prochains afin de pouvoir repartir en tournée dès le mois de mars, si tout va bien. Comme nous sommes dans une période assez incertaine, je ne sais pas de quoi l'avenir sera fait mais j'ai beaucoup d'espoir.
Je crois que l'espoir est la chose qui nous manque le plus alors que les musiques que nous aimons sont des musiques d'espoir...
Est-ce que le travail de sessionman est une chose qui vous intéresse encore, avez-vous un souhait de collaboration ?
En tant que musicien de studio cela ne m'intéresse plus. Il y a des gens qui font cela très bien comme Greg qui est un remarquable technicien. Il y a un certain nombre d'harmonicistes de talent en France et ils ont toute leur place pour pouvoir accompagner des artistes. J'ai la chance de pouvoir faire ce que j'ai envie de faire avec des gens que j'aime bien. C'est un privilège que je ne lâcherai pas !
Avez-vous une conclusion à ajouter à cet entretien ?
A bientôt (rires) !
Remerciements : Marie Llamedo & Sophie Louvet, Jean-Jacques Milteau pour m'avoir reçu chez lui quelques petites heures avant son concert au Sunset.
www.jjmilteau.net
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